Le rendu de la photo numérique

Edito

La photo numérique permet d'accéder facilement à une qualité d'image de haut niveau. Mais quelles sont les caractéristiques de cette qualité ? Et surtout, est-ce que cette "qualité" est compatible avec la Photographie, telle que nous la connaissons depuis quasiment deux siècles ?

Virginie au 24x36 argentique - Tri-x Pan - 400 Iso - Photo : Michel Pieren

Qu'est-ce que le rendu ?

Comme son nom l'indique, le rendu est la manière dont les choses sont restituées, rendues par le support photographique.

Les différentes étapes de création d'une image, depuis la prise de vues jusqu'au support, vont agir sur le rendu. Enfin, le type de support (le papier notamment) va également agir sur la manière dont les choses seront restituées (rendues).

On peut aisément en faire l'expérience en imprimant une même photographie sur un support brillant, puis sur un support mat. On se rendra compte que la sensation perçue sera différente, alors qu'il s'agit bel et bien de la même image.

Photographie ou vidéogramme ?

Les photographies numériques sont "parfaites". Des noirs intenses, un piqué et une netteté tranchants. Pas de défauts de texture. Un rendu lisse, voire froid et aseptisé. Pas de "matière" perceptible. Pas de grain photo. Un rendu couleurs caricatural parce que flatteur, pouvant aller jusqu'au "fluo" (sauf pour le Moyen Format numérique haut de gamme, aux couleurs réalistes)


Si pour de nombreuses applications, cet aspect froid et clinique peut convenir (photo scientifique, sport, animalier, reportage, etc), ce rendu "video a image fixe" se prête assez peu à la photographie de portrait, de mode ou n'importe quel autre type de photographie pour laquelle le "rendu argentique" est partie prenante dans l'émotion procurée par ces disciplines.

En d'autres termes, le support et ses caractéristiques - que l'on pourrait appeler "l'aspect plasticien de la photographie" - semble faire partie intégrante de "l'objet" photographique, tout autant que l'image elle même.

Avec le numérique, l'image est devenue Vidéogramme et a perdu des ingrédients majeurs qui constituaient la Photographie. Ces ingrédients sont : 

  • L'influence du film sur le rendu

  • L'influence du papier sur le rendu

  • L'influence des traitements chimiques (film, papier et virages)

Ces ingrédients fondamentaux et déterminants en termes de rendu sont totalement absents de l'image numérique.

Le traitement argentique

En argentique, divers éléments influençaient le rendu final :

  • Le type du film : négatif noir et blanc, négatif couleurs, inversible (diapositive), polaroid, etc

  • Le choix du film au sein du type (marque, gamme, sensibilité iso, etc)

  • La sensibilité ISO qui a un impact sur la quantité et l'aspect du grain film

  • Le choix de la chimie de développement du film

  • Le choix des paramètres de développement du film (durées, températures)

  • Le choix de l'agrandisseur, de ses objectifs et de l'ouverture pour le tirage de l'épreuve

  • Le tirage sous agrandisseur, spécifique à chaque tireur - Le choix, les caractéristiques et les compétences du tireur.

  • Le type de papier ou de support

  • Le grade (ou les grades) du papier : "dureté" impactant l'acutance (la manière dont sont restitués les micro-contrastes)

  • Le choix de la chimie de développement du papier

  • Le choix des paramètres de développement du papier (durées, températures)

  • Les virages ou substitutions de process : Sépia, Traitement Croisé, Sélénium, etc

Chacune de ces étapes pouvait avoir un impact sur le résultat final, avec une énorme quantité de variables et de possibilités de résultat.

Virginie au MF argentique - Ilford Delta Pro - 100 Iso - Photo : Michel Pieren

Virginie au MF argentique - Ilford Delta Pro - 100 Iso - Photo : Michel Pieren

La caractérisation des films et des papiers

En Photographie chimique, le photographe utilisait le choix du film, de la chimie, du papier comme des outils intervenant dans le rendu final. Ces choix influençaient l'aspect "plasticien" de la photographie, la "réponse" des contrastes, la tonalité et la restitution des couleurs, la sensation de "matière" associée à l'image elle-même. Au final, cette caractérisation allait influencer la réponse émotionnelle de la photographie, auprès du lecteur.

Telle qu'elle est délivrée par un boitier numérique (y compris pour un fichier RAW) et malgré un développement numérique personnalisé, l'image est totalement dépourvue de cet aspect plasticien. Cela a pour conséquence de donner des images au rendu complètement uniforme et identique, tous modèles et toutes marques confondues. En quelque sorte, cela revient à dire que - en terme de rendu - tous les photographes produisent tous les mêmes photos, quelque soit le matériel numérique utilisé.

En termes de qualité pure, le Moyen Format numérique va beaucoup plus loin et possède des qualités qui le rapprochent nettement de l'argentique. Cependant, les caractéristiques "linéaires" du numérique entachent tout de même le résultat final


Les qualités du numérique ont donc un effet pervers : elles conduisent à l'uniformisation du rendu de l'image. La "perfection" est telle, qu'elle amène a l'aseptisation et à la disparition de la singularité et de la personnalité du rendu de nos images.

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Instagram, une mode "gadget" ou un juste retour aux sources ?

J'ai entendu certains photographes critiquer le logiciel Instagram. Je pense au contraire que ce phénomène est tres intéressant : 

Les effets, communément appelés "effets Instagram" n'ont pas du tout été inventés par Instagram. Ils sont aussi vieux que la photographie et font directement référence à la photographie chimique : 

  • Traitement Croisé

  • Grain

  • Virages (sépia, selenium, etc)

  • Vignettage

  • Griffures, rayures et pétouilles de films argentiques

  • Cadres de films

  • Bavures de gélatine sensible

  • Cadres Polaroïd

  • Etc...

Plutot que de se moquer d'Instagram, il faudrait juste prendre conscience de la chose suivante : ce logiciel et ses présets sont de tres loin ce qui ressemble le plus a une photographie, alors que les appareils numériques les plus sophistiqués eux, sont aussi éloignés que possible de la photographie, en termes de rendu.

Ce sont simplement des caméras vidéos a image fixe (que l'on appelait d'ailleurs "photoscopes" au tout début de l'ère numérique, par analogie au caméscope).

Leurs logiciels internes, entièrement tournés vers la performance, en sont actuellement "à l'âge de pierre" du post-traitement évolué.

En ce sens, Instagram est beaucoup plus sophistiqué. Il suffit de cliquer sur les images ci-contre, réalisées avec un iPhone pour se rendre compte de l'avance d'Instagram en termes de rendu.

Des jeunes gens ou des novices en photo, n'ayant à priori aucune référence photographique utilisent régulièrement Instagram. On peut en conclure plusieurs choses : 

  • Même sans aucune référence photographique et sans même savoir ce que c'est, les individus auront tendance a vouloir imprimer à leur photos, un rendu "vintage" ou "photo chimique"

  • L'engouement pour ce système de partage de photos personnelles en réseau doit beaucoup a ces rendus.

  • Ce type de rendu ne choque pas du tout. Le coté "ultra poussé" de ces "effets" est non seulement accepté par le public, mais totalement adulé

  • Il a des vertus éducatives. L'utilisateur lambda comprend qu'une image se fait en deux temps : la prise de vues, puis le traitement.

  • Les utilisateurs d'Instagram essaient d'améliorer leurs photos personnelles. Ils comprennent par la même occasion, la difficulté de réussir correctement une image, et le rôle des photographes (pro ou amateurs confirmés) dans cette dure tâche

L'avenir : le traitement ?

L'avenir de la photo numérique réside à mon avis dans le traitement des images, plus que dans l'évolution du matériel qui atteindra tôt ou tard, un climax.

Vintage or not Vintage ?

Dans cet article, de nombreux exemples de traitements "Vintage" sont utilisés. Ce ne sont que des exemples. Il n'est pas question de se limiter exclusivement à ce type de rendus.

Imiter l'argentique ?

Mon propos n'est pas de "revenir en arrière" et de tenter d'imiter l'argentique dans les photos numériques (tentative qui me parait vaine, quoi qu'il en soit). Il s'agit plutot de faire évoluer le numérique - actuellement tres limité en termes de rendu - afin d'avoir la possibilité de lui donner une dimension "plasticienne". Ceux qui voudront continuer avec l'aspect lisse et froid du numérique pourront continuer à le faire. Mais ceux qui recherchent autre chose auront des outils de personnalisation.

La chimie, comme par exemple le collodion, n'est pas reproductible en numérique pour une raison simple : il y a un coté aléatoire dans le geste et dans la chimie qui n'existe pas dans les logiciels -- Jérémy Rasse, Photographe Paysagiste

Traitement à la mode ?

J'entends parfois dire que les rendus "typés film" sont "à la mode".

Remettons les choses à leur vraie place : le numérique existe depuis un peu plus de 15 ans et la photographie depuis presque 200 ans. La mode est donc bien au numérique et à son rendu actuel. Les rendus argentiques eux, existent depuis toujours. 

Caractérisation automatique des fichiers

Nous pourrions imaginer un système - basé sur un protocole constructeurs / éditeurs de logiciels - permettant d'introduire des la prise de vues des informations de caractérisation sous forme de métadonnées incluses dans le fichier RAW. L'idée serait de fournir des éléments de personnalisation entièrement modifiables ensuite, dans le développeur RAW

En préambule il serait nécessaire d'intégrer dans Lightroom : 

  • Un aménagement du module "grain film" : la séparation "hautes lumières" et "basses lumières" avec la possibilité d'affecter des réglages différents pour le grain dans les hautes lumières et et pour le grain dans les basses lumières. Ce dispositif existe déjà pour le module "virage partiel" qui sépare les hautes lumières et les basses lumières avec un curseur "balance" permettant de régler le seuil "hautes / basses". Sans ce module, le grain généré par Lightroom peut donner un effet de "sablage" car il est trop uniforme.

  • La possibilité d'affecter une "opacité" au module "courbe des tonalités", comme c'est le cas actuellement dans photoshop​

En ce qui concerne les métadonnées : 

  • Ces informations seraient créées et insérées par le boitier.

  • Elles seraient par ailleurs reconnaissables et interprétables par les logiciels de développement et, grâce a un sélecteur, l'utilisateur choisirait de les intégrer ou non à son développement. Un fichier RAW non caractérisé se présenterait comme de nos jours : le logiciel de développement ferait un simple "développement initial", tous réglages "a zéro".

  • Tout comme on peut le faire actuellement dans Lightroom, le réglage "initial" pourrait intégrer certaines fonctions activées. Actuellement on peut (par exemple) décider que tous les fichiers ouverts pour la première fois dans Lightroom, le seront avec la correction des objectifs activée.

  • Les métadonnées toucheraient les éléments suivants :

    • L'outil courbe (pour la caractérisation de réponse tonale et lumineuse de type "film")

    • Le grain, pour les hautes lumières et pour les basses lumières

    • Le Virage Partiel pour les effets de Traitement Croisé

    • Le TSL, voire la balance des blancs pour les caractérisations couleurs

    • Le mélangeur de filtres NB pour les caractérisations N&B

    • Le vignetage. Ce paramètre serait aléatoire (débrayable) d'une vue a l'autre avec un random généré par le boitier.

    • Un générateur de cadres "film"

    • Un générateur de bordures "sales" avec des variations aléatoires d'une vue à l'autre

    • Un générateur de trames et de défauts, dont le choix serait aléatoire et généré par le boitier

  • Sur le boitier, l'utilisateur choisirait :

    • Le type d'émulation film, noir et blanc ou couleurs, néga, diapo ou pola.

    • Le type de grain

    • La sensibilité ISO (fixe ou rattachée a la sensibilité ISO de prise de vues)

    • Un type de cadre film ou de cadre pola (ou pas)

    • Un type de "vieillissement film" (ou pas)

    • Etc

    • Cette sélection pourrait se faire sous forme de "Packs" de réglages, avec un nom spécifique et reconnaissable, tout comme actuellement, dans Instagram : "1977", "Amaro", "Inkwell", etc

  • Ces métadonnées une fois détectées dans le Développeur RAW seraient interprétées et ajoutées (ou non) au développement de base. Et bien entendu, chacun de ces éléments serait totalement modifiable par l'utilisateur. Leur dosage par défaut tiendrait compte des paramètres de PDV et notamment de l'exposition.

Certains boitiers - comme les Fuji - contiennent déja les prémices de ce genre de module. Il faut toutefois que ces caractérisations soient impérativement traduites sous forme de métadonnées applicables au RAW et entièrement modifiables en post-traitement RAW.


Messieurs les constructeurs et éditeurs de logiciels à vous de jouer... Je vise directement Adobe qui pourrait concevoir le protocole, tout comme il l'a fait pour le PDF et dans une moindre mesure pour le DNG

Comment transformer un vidéogramme en "néo-photographie"

Commençons déja par quelques images...

Ci-dessous, deux photos numériques développées "traditionnellement" puis retouchées. Pas de post-traitement de "caractérisation"

Ci-dessous, deux photos numériques développées "traditionnellement" puis retouchées. Pas de post-traitement de "caractérisation"
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les mêmes photos avec une caractérisation. Il ne s'agit bien entendu que des exemples de traitements parmi l'infinité possible

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